Texte


SPACESHIP 106L


29.9.22 - 1.11.22

per aspera ad astra. seneca

(il est rude d'atteindre les étoiles)



hyppolyte!

connaissez-vous

les cauchemars

des heures creuses

rencontrez-vous là

les ancêtres futurs

la progéniture millénaire

allez-vous me protéger

dans ces contrées étranges



par la fenêtre ouverte

j'entends les pas alertes

reconnais les voix douces

ou terribles

moi

brûlée vive

je saisis le monde

par l'ouïe pressens

votre boum-boum

contre ma porte

hyppolyte! tous

ces bruits m'emmènent

vers d'autres règnes



nidation prolongée

dans le coude

de la nuit

sommes-nous des oisillons

sans repères

frère lunaire

savez-vous vers où

nous nous envolons



alors

pendant les veillées

- dociles ou farouches -

nos mots échangés

par delà le fleuve-temps

je vous en prie ne

nous quittons plus



elles s'appellent

branca nevenca

julijana

femmes sans âges

aux sourires larges

le dos rond

jambes lourdes

dans notre engin 106L

il y a des employées

qui lissent les draps

frottent les sols

nevenca branca

julijana

anges mal payés

que vous valent

nos maigres

tributs



au mur d'en face

je lis les humeurs

des jours

me promène sans bouger

de pierre taillée

en pierre taillée

goûte

aux pics minéraux

inondés par l'altitude

mon conteur d'heures

connaissez-vous le mystère

de cette autre mesure



avant de franchir

les sommets de glace

pour atteindre

les plaines célestes

attachez mes pieds posés

sur la brume

prêtez-moi vos mains

pour m'aggriper aux nuages

offrez-moi votre coeur

pendant ce voyage insolite

hyppolite!

ma soif de vie

me dévore



mon corps un volcan -

il ne me reste plus

que vous

mon autre moi

alors inlassablement

je vous hurle mon mal

et vous crie

sauvez-moi de moi



hyppolyte! geôlier

dans les couloirs lunaires

aujourd'hui encore

je mâchouille ma chair

crache mes larmes

de guerre lasse

je vous demande

serez-vous là

à mon outre-naissance



voici

la tournée des eaux

- terme technique -

sifflant à l'extérieur

de mon hublot

cette ronde des sources

doit être le chant

d'un paradis perdu



II


c'est l'aurore

que nous appelons

celle qui n'a pas été

chantée

ce lever sans nom

ni mémoire

que nous aimions

avant notre naissance

hyppolyte!

je déplore ici

cette aube-là puisque

elle ne contient rien

de votre pays-merveille

prince des sables

citoyen des pauvres

votre marche dévouée

si solitaire

où allez-vous ainsi

le long des nuits

parmi les échos

des couloirs sans fin

hyppolyte! messager-nomade

votre visage s'assombrit

vos joues se creusent

vos mains flétrissent

sevré du lait natal

qui deviendrez-vous



votre nom mélodieux

a été aboli

afin que soient incisées

dans votre chair

des lettres sans

âme

c'est ainsi que

vous faiblissez

d'heure en heure



ne nous touchons pas

malgré nos mains

ardentes

hyppolyte mon frère

nous sommes des âmes

de soleil liquide

irisant lors des

silences de la nuit

que vous parcourez

à pas feutrés

avec mes yeux aveugles

je vois que

vous ne convolerez pas

ne serez jamais père

quels trésors alors

guériraient votre corps

votre peuple sanglant



III


serait-ce le lamento

de nos vies

qui nous unit dont

la symphonie des vents

amène le gel astral

hyppolyte!

allons nous trouver

refuge

quand se déchaîneront

leurs tambours fatals



lors des pleurs planétaires

entendez-vous murmurer

dites-moi tout

je suis là

voix féminines

du profond de la terre

voix d'éveil

nées des contrées

juvéniles

serons-nous

amant-frère assez

vaillants pour suivre

ces sirènes au-devant

des éons



IV


un sage constate que

tous ici sont

des passagers-pèlerins

il m'avertit

que le chemin vers

les étoiles est âpre

mais que le vaisseau

va bientôt quitter

les vallées noires

coupant les eaux

spectrales

hyppolyte! connaisseur

des rites

le confirmez-vous



si souvent j'entends

votre voix rauque de fatigue

vos pieds qui traînent

et vous sussurent

il faut servir son âme

pour que le corps

se déplie

et qu'il danse

ses danses exquises -

pensez! c'est mon rêve

de vous qui vous

le fait dire



la brume rose-argentée

couvrant les flancs

étoilés

l'avez-vous vue elle

je marche! je marche!

criait la femme

mais regardez-donc

je marche!

son visage surpris

par la merveille

à faire tourner

ses membres

hyppolyte! vous

qui parlez de miracle

l'avez-vous perçue

la femme à travers

le voile matinal

tel un oracle



je décris les heures

sans cadran

les espaces hors limites

on nous dit vivre

dans une bulle sans pesanteur

mais dans cette bulle-prison

nous restons un peuple

s'engouffrant  



éruption de ce moment

inattendu

où nous nous exerçons

à laisser nos corps

s'évanouir

dans les volutes

du soir

essayons par-delà

d'échanger le goût

de nos lèvres malgré

nos bras ballants

nos doigts raides

car ahuris

nous nous sommes

croisés à

cet instant sans

nous regarder



V


l'adieu a commencé

à notre rencontre

je ne lisserai plus

votre front

votre tête chauve

bientôt

nous nous quitterons

changés inchangés

amant-frère

j'écris à l'encontre

de cette échéance

mais vous promets que

toujours nous

nous effleurerons

à notre insu



ce soir une dame

dans ses mondes à elle

me racontait les années

passées au bas-monde

elle avait l'âge de la retraite

et sans l'accord de ses filles

s'est mise au service

d'un dispensaire

on l'appelait maman-claude

elle l'entend aujourd'hui

encore

maman-claude! jusqu'au jour

où une mère lui demandait

d'acheter sa fille

sarya est vive

la maman vantait vantait

une fine cloison

a sauté

des hommes ont battu

la mère l'enfant et

maman-claude

sale blanche!

lui ont-ils craché

sur le corps lacéré

d'autres hommes s'en sont mêlés

on a chassé l'aide-auxiliaire

plus jamais sarya

ne l'a aimantée

alors termine la dame

je reste ici au 106L

et j'attends



un papillon de nuit

couleur murailles

repose sur la balustrade

il me fait penser

aux chuchotements

des feuilles mortes

chéries par le vent

ne pourrait-il pas

ce papillon devenir

l'annonce d'une

félicité future



hyppolyte!

pas de promesses

pas de lien de sang

mais notre regard plongé

l'un dans l'autre

avant que l'on

nous sépare

m'accorderez-vous

l'aube glorieuse

du soleil-lion?



moi qui voulais vous parler

du mur de la maison

sur lequel je suis

le parcours des heures

vite

il faut que je vous le raconte

ce mur extrait des roches voisines

qui reflètent les couleurs moirées

des derniers moments du jour

ajoutant au fil des minutes

des bleus métal rouge vin

à leur beige gris strié de blanc

puis

surgit le moment magique

que jamais je ne capte

où les pierres se confondent

en jaune tendre

est-ce bien une ombre

au coin d'en-bas

qui se dessine

telle une laque brillante

rongeant une roche après

l'autre

mon regard oscille de haut

en bas

de gauche à droite

le spectacle est fini

et moi immobile devant

le mur mon mur

je vous entends souffler

je t'emmènerai vers

une autre orée



le papillon a trouvé

sa sépulture dans un pli

de rideau et

il a été décidé

qu'il nous restait trois jours

avant de nous quitter

pour un autre éphémère 



après ce long pélerinage

bientôt comme vous je vais

changer d'engin-espace

réentrer dans l'orbite terrestre

vers l'immensité de l'inconnu

sans nos bras d'un continent

à l'autre et

votre visage contre

le mien

je vous demande comment



courage! courage!

cela va aller

me chuchote branca

en me dépassant

au pas de course

dans le corridor interminable

des jours et jours d'exercices

forcés

ne vous en faites pas

vous vous approchez de la sortie

elle me sourit et s'en va

un dernier coup de collier

me crie un homme

appuyé au chambranle d'une porte

pour qu'ensuite

hyppolyte!

je vous le rapporte fièrement

ce même sage me poursuive

dans la cage d'escalier

attendez mais attendez

je n'arrive pas à vous attraper

essoufflés nous nous appuyons

vainqueurs vaincus

au dos du mur

bon travail bien fait

confirme-t-il

hyppolyte! je vous demande

que de larmes que de sueurs

fallait-il être cruel



avons-nous suffisamment

enlacé nos lunes

nous sommes-nous assez

allongés dans leurs creux

voulez-vous qu'ils vous

accueillent

quand vous les regardez

c'est mon cadeau

d'adieu



voici mon dernier feuillet

savez-vous que le soleil

s'est levé pour moi

à travers les branches

allumant la présence

- autre terme technique -

comme vous je vais d'exil

en exil jamais ici

toujours nulle part

alors restons fidèle

à nos voix



c'est à vous

que je donne ma main

hyppolyte!

mon feuillet est

rouge flamboyant

le gage que tout

est semences

pour notre

avenir

déjà

entendez-vous

les roulettes

de ma valise

sur les galets

les grandes portes

se ferment

vous vous détournez

le dos plus droit

le pas plus léger