Texte
SPACESHIP 106L
per aspera ad astra. seneca
(il est rude d'atteindre les étoiles)
hyppolyte!
connaissez-vous
les cauchemars
des heures creuses
rencontrez-vous là
les ancêtres futurs
la progéniture millénaire
allez-vous me protéger
dans ces contrées étranges
par la fenêtre ouverte
j'entends les pas alertes
reconnais les voix douces
ou terribles
moi
brûlée vive
je saisis le monde
par l'ouïe pressens
votre boum-boum
contre ma porte
hyppolyte! tous
ces bruits m'emmènent
vers d'autres règnes
nidation prolongée
dans le coude
de la nuit
sommes-nous des oisillons
sans repères
frère lunaire
savez-vous vers où
nous nous envolons
alors
pendant les veillées
- dociles ou farouches -
nos mots échangés
par delà le fleuve-temps
je vous en prie ne
nous quittons plus
elles s'appellent
branca nevenca
julijana
femmes sans âges
aux sourires larges
le dos rond
jambes lourdes
dans notre engin 106L
il y a des employées
qui lissent les draps
frottent les sols
nevenca branca
julijana
anges mal payés
que vous valent
nos maigres
tributs
au mur d'en face
je lis les humeurs
des jours
me promène sans bouger
de pierre taillée
en pierre taillée
goûte
aux pics minéraux
inondés par l'altitude
mon conteur d'heures
connaissez-vous le mystère
de cette autre mesure
avant de franchir
les sommets de glace
pour atteindre
les plaines célestes
attachez mes pieds posés
sur la brume
prêtez-moi vos mains
pour m'aggriper aux nuages
offrez-moi votre coeur
pendant ce voyage insolite
hyppolite!
ma soif de vie
me dévore
mon corps un volcan -
il ne me reste plus
que vous
mon autre moi
alors inlassablement
je vous hurle mon mal
et vous crie
sauvez-moi de moi
hyppolyte! geôlier
dans les couloirs lunaires
aujourd'hui encore
je mâchouille ma chair
crache mes larmes
de guerre lasse
je vous demande
serez-vous là
à mon outre-naissance
voici
la tournée des eaux
- terme technique -
sifflant à l'extérieur
de mon hublot
cette ronde des sources
doit être le chant
d'un paradis perdu
II
c'est l'aurore
que nous appelons
celle qui n'a pas été
chantée
ce lever sans nom
ni mémoire
que nous aimions
avant notre naissance
hyppolyte!
je déplore ici
cette aube-là puisque
elle ne contient rien
de votre pays-merveille
prince des sables
citoyen des pauvres
votre marche dévouée
si solitaire
où allez-vous ainsi
le long des nuits
parmi les échos
des couloirs sans fin
hyppolyte! messager-nomade
votre visage s'assombrit
vos joues se creusent
vos mains flétrissent
sevré du lait natal
qui deviendrez-vous
votre nom mélodieux
a été aboli
afin que soient incisées
dans votre chair
des lettres sans
âme
c'est ainsi que
vous faiblissez
d'heure en heure
ne nous touchons pas
malgré nos mains
ardentes
hyppolyte mon frère
nous sommes des âmes
de soleil liquide
irisant lors des
silences de la nuit
que vous parcourez
à pas feutrés
avec mes yeux aveugles
je vois que
vous ne convolerez pas
ne serez jamais père
quels trésors alors
guériraient votre corps
votre peuple sanglant
III
serait-ce le lamento
de nos vies
qui nous unit dont
la symphonie des vents
amène le gel astral
hyppolyte!
allons nous trouver
refuge
quand se déchaîneront
leurs tambours fatals
lors des pleurs planétaires
entendez-vous murmurer
dites-moi tout
je suis là
voix féminines
du profond de la terre
voix d'éveil
nées des contrées
juvéniles
serons-nous
amant-frère assez
vaillants pour suivre
ces sirènes au-devant
des éons
IV
un sage constate que
tous ici sont
des passagers-pèlerins
il m'avertit
que le chemin vers
les étoiles est âpre
mais que le vaisseau
va bientôt quitter
les vallées noires
coupant les eaux
spectrales
hyppolyte! connaisseur
des rites
le confirmez-vous
si souvent j'entends
votre voix rauque de fatigue
vos pieds qui traînent
et vous sussurent
il faut servir son âme
pour que le corps
se déplie
et qu'il danse
ses danses exquises -
pensez! c'est mon rêve
de vous qui vous
le fait dire
la brume rose-argentée
couvrant les flancs
étoilés
l'avez-vous vue elle
je marche! je marche!
criait la femme
mais regardez-donc
je marche!
son visage surpris
par la merveille
à faire tourner
ses membres
hyppolyte! vous
qui parlez de miracle
l'avez-vous perçue
la femme à travers
le voile matinal
tel un oracle
je décris les heures
sans cadran
les espaces hors limites
on nous dit vivre
dans une bulle sans pesanteur
mais dans cette bulle-prison
nous restons un peuple
s'engouffrant
éruption de ce moment
inattendu
où nous nous exerçons
à laisser nos corps
s'évanouir
dans les volutes
du soir
essayons par-delà
d'échanger le goût
de nos lèvres malgré
nos bras ballants
nos doigts raides
car ahuris
nous nous sommes
croisés à
cet instant sans
nous regarder
V
l'adieu a commencé
à notre rencontre
je ne lisserai plus
votre front
votre tête chauve
bientôt
nous nous quitterons
changés inchangés
amant-frère
j'écris à l'encontre
de cette échéance
mais vous promets que
toujours nous
nous effleurerons
à notre insu
ce soir une dame
dans ses mondes à elle
me racontait les années
passées au bas-monde
elle avait l'âge de la retraite
et sans l'accord de ses filles
s'est mise au service
d'un dispensaire
on l'appelait maman-claude
elle l'entend aujourd'hui
encore
maman-claude! jusqu'au jour
où une mère lui demandait
d'acheter sa fille
sarya est vive
la maman vantait vantait
une fine cloison
a sauté
des hommes ont battu
la mère l'enfant et
maman-claude
sale blanche!
lui ont-ils craché
sur le corps lacéré
d'autres hommes s'en sont mêlés
on a chassé l'aide-auxiliaire
plus jamais sarya
ne l'a aimantée
alors termine la dame
je reste ici au 106L
et j'attends
un papillon de nuit
couleur murailles
repose sur la balustrade
il me fait penser
aux chuchotements
des feuilles mortes
chéries par le vent
ne pourrait-il pas
ce papillon devenir
l'annonce d'une
félicité future
hyppolyte!
pas de promesses
pas de lien de sang
mais notre regard plongé
l'un dans l'autre
avant que l'on
nous sépare
m'accorderez-vous
l'aube glorieuse
du soleil-lion?
moi qui voulais vous parler
du mur de la maison
sur lequel je suis
le parcours des heures
vite
il faut que je vous le raconte
ce mur extrait des roches voisines
qui reflètent les couleurs moirées
des derniers moments du jour
ajoutant au fil des minutes
des bleus métal rouge vin
à leur beige gris strié de blanc
puis
surgit le moment magique
que jamais je ne capte
où les pierres se confondent
en jaune tendre
est-ce bien une ombre
au coin d'en-bas
qui se dessine
telle une laque brillante
rongeant une roche après
l'autre
mon regard oscille de haut
en bas
de gauche à droite
le spectacle est fini
et moi immobile devant
le mur mon mur
je vous entends souffler
je t'emmènerai vers
une autre orée
le papillon a trouvé
sa sépulture dans un pli
de rideau et
il a été décidé
qu'il nous restait trois jours
avant de nous quitter
pour un autre éphémère
après ce long pélerinage
bientôt comme vous je vais
changer d'engin-espace
réentrer dans l'orbite terrestre
vers l'immensité de l'inconnu
sans nos bras d'un continent
à l'autre et
votre visage contre
le mien
je vous demande comment
courage! courage!
cela va aller
me chuchote branca
en me dépassant
au pas de course
dans le corridor interminable
des jours et jours d'exercices
forcés
ne vous en faites pas
vous vous approchez de la sortie
elle me sourit et s'en va
un dernier coup de collier
me crie un homme
appuyé au chambranle d'une porte
pour qu'ensuite
hyppolyte!
je vous le rapporte fièrement
ce même sage me poursuive
dans la cage d'escalier
attendez mais attendez
je n'arrive pas à vous attraper
essoufflés nous nous appuyons
vainqueurs vaincus
au dos du mur
bon travail bien fait
confirme-t-il
hyppolyte! je vous demande
que de larmes que de sueurs
fallait-il être cruel
avons-nous suffisamment
enlacé nos lunes
nous sommes-nous assez
allongés dans leurs creux
voulez-vous qu'ils vous
accueillent
quand vous les regardez
c'est mon cadeau
d'adieu
voici mon dernier feuillet
savez-vous que le soleil
s'est levé pour moi
à travers les branches
allumant la présence
- autre terme technique -
comme vous je vais d'exil
en exil jamais ici
toujours nulle part
alors restons fidèle
à nos voix
c'est à vous
que je donne ma main
hyppolyte!
mon feuillet est
rouge flamboyant
le gage que tout
est semences
pour notre
avenir
déjà
entendez-vous
les roulettes
de ma valise
sur les galets
les grandes portes
se ferment
vous vous détournez
le dos plus droit
le pas plus léger